On imagine souvent les microplastiques comme un problème lointain, réservé aux océans ou aux plages tropicales. Pourtant, ils sont déjà bien installés dans notre quotidien… et dans notre fleuve. Le Saint-Laurent, colonne vertébrale du Québec, abrite aujourd’hui des milliers de particules plastiques trop petites pour être visibles à l’œil nu, mais assez nombreuses pour perturber les animaux, les écosystèmes, et peut-être même notre santé.
Cet article fait le point sur ce que l’on sait — et ce que l’on ignore encore — tout en proposant des pistes concrètes d’action.
Où retrouve-t-on les microplastiques dans le Saint-Laurent ?
Depuis une dizaine d’années, les scientifiques québécois mettent en lumière une réalité inquiétante :
les microplastiques sont partout dans le fleuve.
Particulièrement :
dans les sédiments du fond du fleuve (où ils s’accumulent et persistent des années) ;
dans l’eau — emportés par les courants, les crues, les effluents urbains ;
dans les organismes vivants, des larves d’insectes aux poissons.
Une étude pionnière de 2014 a notamment révélé une concentration importante de microbilles de plastique — pourtant bannies depuis — piégées dans le lit du fleuve sur des centaines de kilomètres. Depuis, des projets universitaires et des initiatives citoyennes continuent de cartographier et de surveiller la distribution de ces particules.
Le constat se raffine mais ne s’améliore pas : le plastique s’installe.
Mais, comment ces particules affectent-elles la faune du fleuve ?
Ingestion et blocage
Les poissons et invertébrés avalent les microplastiques :
par erreur (ils ressemblent à des proies),
ou en mangeant des animaux déjà contaminés.
Résultat :
- intestins obstrués et digestion ralentie,
- perte d’énergie,
- croissance réduite.
Chez certains poissons, on observe une diminution de la condition physique et de l’appétit.
Stress physiologique et effets sublétaux
Les dégâts ne se limitent pas au système digestif. Une exposition chronique aux microplastiques peut provoquer :
inflammation,
stress oxydatif,
perturbations hormonales,
troubles du développement, surtout chez les jeunes stades.
Ces altérations s’additionnent et finissent par affecter la survie, la reproduction et les chaînes alimentaires.
Des “éponges” à contaminants
Les microplastiques ne sont pas dangereux uniquement par leur présence physique. Ils attirent et concentrent :
les additifs libérés par le plastique lui-même,
des polluants persistants,
des métaux lourds.
Une fois ingérés, ils deviennent un véhicule chimique interne qui intensifie l’exposition de la faune à ces substances.
Dans un fleuve comme le Saint-Laurent, déjà exposé à d’autres polluants (pharmaceutiques, PFAS…), le cocktail est préoccupant.
Impacts sur l’écosystème et la qualité de l’eau
Les microplastiques ne se contentent pas de flotter : ils modifient les équilibres naturels.
Ils influencent :
la stabilité des sédiments,
le transport des particules dans le fleuve,
la composition du biofilm, ces communautés microbiennes essentielles au recyclage des nutriments.
À long terme, un milieu moins résilient répond plus mal aux stress climatiques (réchauffement, crues, eutrophisation).
Et pour nous, humains : un risque réel ou exagéré ?
Comment sommes-nous exposés ?
Les microplastiques nous atteignent principalement par :
l’ingestion (eau potable, fruits de mer, aliments transformés),
l’inhalation de particules atmosphériques,
potentiellement le contact cutané.
L’OMS reconnaît l’exposition comme réelle, mais encore mal quantifiée.
Le cas particulier du Saint-Laurent
Les populations qui consomment régulièrement du poisson local peuvent être exposées indirectement aux contaminants liés aux plastiques.
C’est pourquoi les autorités :
surveillent certains polluants dans les poissons,
publient des recommandations alimentaires précises,
appellent à la prudence sans alarmisme inutile.
Ce que montrent les études
Des particules minuscules peuvent :
traverser la barrière intestinale,
se faufiler dans les poumons,
atteindre potentiellement le sang, le placenta ou certains tissus.
Les effets suggérés incluent :
inflammation,
stress oxydatif,
perturbation immunitaire et métabolique.
Mais — et c’est essentiel — nous ignorons encore les conséquences d’une exposition chronique à faibles doses, car les études de laboratoire utilisent souvent des concentrations trop élevées ou des particules non représentatives du monde réel.
Ce que la science ignore encore
Malgré l’avancée rapide des recherches, plusieurs zones grises persistent :
Les nanoplastiques sont presque impossibles à mesurer, mais probablement les plus préoccupants.
Les interactions microplastiques + PFAS + médicaments semblent amplifier la toxicité.
Les études en laboratoire sont difficiles à transposer à l’environnement réel.
Le comportement à long terme des particules dans l’organisme humain reste inconnu.
Conclusion : les risques existent, mais la science doit encore combler de nombreuses lacunes.
Que peut-on faire ?
À l’échelle politique
Renforcer la surveillance du fleuve (eau, sédiments, faune).
Améliorer les stations d’épuration.
Interdire davantage de plastiques problématiques.
Intégrer les microplastiques dans les normes officielles de qualité de l’eau.
À notre échelle
Réduire l’usage de plastique à usage unique.
Choisir des articles durables, réparables.
Limiter l’achat de textiles synthétiques (grande source de microfibres).
Participer à des nettoyages de berges.
Soutenir les entreprises qui réduisent l’emballage.
Chaque geste individuel compte — et s’additionne.
Au niveau des collectivités
Organiser ou soutenir des collectes de déchets.
Installer des filtres sur certains égouts pluviaux.
Réduire le plastique à usage unique dans les commerces locaux.
Encourager la science citoyenne.
Pourquoi agir dès maintenant ?
Parce que les microplastiques sont déjà là, installés dans le Saint-Laurent, dans ses sédiments, dans les organismes, et en partie dans notre quotidien.
Parce que la science avance mais n’a pas encore toutes les réponses.
Parce qu’attendre la certitude scientifique reviendrait à laisser le problème s’amplifier.
Agir aujourd’hui, c’est protéger :
la biodiversité du fleuve,
notre santé future,
et la richesse culturelle et écologique du Saint-Laurent.
